Tropaire, ton 4
Dès ta jeunesse tu as aimé le Christ, ô bienheureux Séraphin, / et tu fus enflammé du désir de ne servir que lui ; / dans la solitude du désert / tu t'es adonné au travail et à la prière incessante ; / par ta tendresse et ta douceur, tu as acquis l’amour du Christ / et tu as été l’élu de la Mère de Dieu. // Par tes prières, ô père théophore, conduis-nous au salut.
Kondakion, ton 2
Ayant renoncé aux attraits du monde / et à ce qui est périssable en lui, / tu as choisi de demeurer à Sarov pour y mener une vie angélique ; / pour beaucoup tu fus une voie conduisant au salut ; / c’est pourquoi le Christ t’a glorifié, ô père Séraphin, /t’accordant le don des miracles et des guérisons ; / aussi te clamons-nous : //Réjouis-toi, ô notre père théophore.
SAINT SÉRAPHIM DE SAROV
Ce grand témoin de la lumière du Saint-Esprit s’est levé, tel un astre nouveau, sur la terre russe, le 19 juillet 1759, à l’époque où l’esprit des prétendues « Lumières » envahissait l’Europe et la Russie, préparant de loin les temps sombres de l’athéisme et de la persécution. Fils de pieux marchands de la ville de Koursk, il grandit dans la piété et l’amour de l’Église, et reçut dès son jeune âge les faveurs de la Mère de Dieu par une guérison miraculeuse. À dix-sept ans, il quitta le monde, muni de la bénédiction de sa mère, et entra au monastère de Sarov, situé dans le diocèse de Tambov au centre de la Russie, où il devint rapidement un modèle d’obéissance et de vertus monastiques. Avec joie et bonne humeur, il s’acquittait de toutes les tâches les plus astreignantes pour le service des frères, jeûnait pour vaincre les élans de la chair, et gardait jour et nuit son intelligence fixée dans le souvenir de Dieu par la Prière de Jésus. Au bout de quelque temps, il tomba très gravement malade et, malgré la douleur, il refusait l’aide des médecins, demandant uniquement le seul remède qui convient à ceux qui ont tout abandonné pour Dieu : la sainte Communion. Quand on lui apporta le saint viatique, la Très Sainte Mère de Dieu lui apparut, au sein d’une intense lumière, en compagnie des saints Apôtres Pierre et Jean le Théologien, et elle leur dit, en montrant le jeune novice : « Celui-ci est de notre race ! » Peu de temps après, il guérit complètement, et par la suite il fit construire une infirmerie sur l’emplacement de cette apparition.
Au bout de huit années de noviciat, il fut tonsuré moine sous le nom de Séraphim («flamboyant »), nom qui excitait encore davantage son zèle pour imiter ces serviteurs de Dieu incorporels et brûlants d’amour. Ordonné diacre, il passait les nuits entières en prière avant de célébrer la Divine Liturgie ; et, progressant sans cesse dans les saintes vertus, le Seigneur lui accordait en retour de nombreuses visions, extases et consolations spirituelles. Prudemment dirigé par ses Anciens, il ne tirait cependant aucune vaine gloire de ces faveurs divines. Elles lui étaient au contraire l’occasion de s’enfoncer dans l’humilité et le blâme de soi, et de rechercher davantage la solitude.
Peu de temps après son ordination sacerdotale et la mort de son père spirituel, il obtint la permission de se retirer en solitaire, dans la forêt profonde, à 6-7 kilomètres du monastère, et de bâtir une petite cabane en bois entourée d’un jardinet, sur une colline qu’il nomma la « Sainte Montagne ». Il y restait toute la semaine, ne rentrant au monastère que les dimanches et les jours de fêtes, et passait tout son temps dans la prière, la lecture et les labeurs corporels agréables à Dieu. Chacune de ces activités lui était une occasion d’élever sa pensée aux choses de Dieu. Il ne connaissait rien de profane ni de charnel, et supportait avec patience les rigueurs de l’hiver et les assauts des insectes l’été, heureux de partager ainsi les souffrances du Seigneur pour la purification de son âme. Il portait continuellement un gros évangile attaché sur son dos, comme le « fardeau du Christ », et il se rendait dans les endroits de la forêt, auxquels il avait donné les noms de lieux saints : Bethléem, le Jourdain, le Thabor, le Golgotha, afin d’y lire les péricopes correspondantes. Il vivait ainsi intensément chaque jour, la vie même et la Passion de notre Seigneur Jésus-Christ. La méditation continuelle de la Sainte Écriture ne lui donnait pas seulement la connaissance de la vérité, mais elle lui procurait aussi la pureté de l’âme et la componction du cœur, de sorte qu’en plus de la récitation des offices divins aux temps fixés et de ses mille prosternations quotidiennes, il pouvait prier sans relâche, l’intelligence plongée dans son cœur. Il se nourrissait d’abord du pain fourni par le monastère, puis des seuls produits de son jardin ; mais il se privait bien souvent de sa pitance pour la distribuer aux animaux qui aimaient venir près de sa cabane, en particulier à un ours énorme, devenu aussi docile qu’un chat.
En voyant ce mode de vie si agréable à Dieu et si proche de celui des êtres incorporels, l’ennemi séculaire du genre humain, le diable, excité de jalousie, déclencha contre l’ascète du Christ ses attaques accoutumées : pensées d’orgueil, vacarmes, apparitions effrayantes, etc. ; mais le vaillant guerrier repoussait tous ses assauts par la prière et le signe de la Croix. Comme la guerre des pensées se faisait plus pressante, le saint décida d’entreprendre un combat digne des hauts-faits des stylites de jadis : il passa mille jours et mille nuits, debout ou à genoux sur un rocher, en répétant sans cesse la prière du Publicain : Ô Dieu, sois propice au pécheur que je suis ! (Lc 18, 13). C’est ainsi qu’il fut définitivement délivré du combat des pensées. Mais le diable ne s’en tenait pas encore pour vaincu, il envoya contre lui trois brigands qui, furieux de ne pas trouver sur le pauvre moine l’argent qu’ils espéraient, le frappèrent à coups de bâtons et avec le revers de sa hache, et le laissèrent à demi-mort, tout ensanglanté et les os rompus. Bien que de forte constitution, le doux Séraphim ne chercha pas à se défendre et s’offrit aux coups dans la pensée qu’il participait ainsi aux souffrances du Seigneur. Malgré son état lamentable, il réussit à se traîner jusqu’au monastère où, après cinq mois de souffrances, il fut miraculeusement guéri par une apparition de la Mère de Dieu, en tout point semblable à celle advenue lorsqu’il était novice. Il resta cependant voûté jusqu’à la fin de ses jours et ne se déplaçait plus que péniblement, appuyé sur un bâton.
Cette infirmité lui permit de gravir un nouveau degré de l’échelle dressée pour lui vers le ciel et d’entreprendre, de 1807 à 1810, le combat du silence dans la solitude. Aussitôt rétabli, il regagna son « désert » et, ne pouvant plus retourner régulièrement au monastère, il cessa aussi de recevoir ou d’adresser la parole à qui que ce soit. Chaque fois qu’il rencontrait quelqu’un dans la forêt, il se prosternait profondément à terre devant lui, sans un mot, jusqu’à ce que celui-ci s’éloigne. Il pouvait garder ainsi son intelligence fixée en Dieu, sans interruption ni distraction. Entre temps l’higoumène du monastère mourut, et certains moines commencèrent à montrer une animosité marquée à l’égard du saint ermite, l’accusant de se séparer de la communion de l’Église.
Finalement, on lui donna l’ordre de regagner le monastère. Séraphim se soumit sans aucune opposition et s’installa dans une étroite cellule, où il commença un nouveau stade de sa vie ascétique : la réclusion. Dans le vestibule, il avait fait placer son cercueil, dans lequel il aimait prier, et dans sa cellule, où personne n’entrait jamais, il n’avait qu’un sac de pierres pour couche, un tronc d’arbre pour siège et une icône de la « Vierge de tendresse », appelée par lui « la Joie de toutes les joies », devant laquelle brûlait en permanence une veilleuse. Il vivait ainsi dans le silence complet, augmentant ses austérités, lisant et commentant pour lui-même chaque semaine tout le Nouveau Testament, priant sans cesse, le cœur en veille, et ayant les anges et les saints comme seuls témoins de ses fréquentes extases et ravissements de l’intelligence dans les demeures célestes.
Au bout de cinq ans de réclusion, il ouvrit sa porte, laissant entrer ceux qui voulaient le voir, mais sans rompre cependant son silence, même pour les visiteurs les plus importants. Puis, en 1825, l’heure d’abandonner la vie hésychaste lui ayant été révélée par la Mère de Dieu, il commença à faire profiter les autres hommes des fruits de son expérience : les moines d’abord, qu’il exhortait à l’observance des règles monastiques et au zèle dans l’œuvre de Dieu, puis les laïcs, en nombre rapidement croissant. Après avoir communié volontairement à la Passion du Seigneur pendant quarante-sept ans de vie ascétique, en passant successivement par les états de cénobite, d’hésychaste, de stylite et de reclus, ce petit vieillard habillé de blanc, tout courbé sur son bâton, se tournait vers les hommes, rempli de la grâce et de la lumière du Saint-Esprit, afin de s’acquitter du ministère supérieur de la paternité spirituelle (startchestvo et de devenir pour tout le peuple russe un véritable « apôtre », témoin et prédicateur de la Résurrection. Sa porte restait ouverte à tous jusqu’à la nuit. Il saluait ses visiteurs avec gaieté, en leur disant : « Ma Joie, le Christ est ressuscité ! » Il montrait une tendresse toute particulière envers les pécheurs qui venaient vers lui repentants, comme le fils prodigue vers son Père (Lc 11). Sa douceur surnaturelle convertissait les cœurs les plus durs, son humilité abaissait les plus fiers et leur faisait verser des larmes comme des enfants. Pour les aristocrates comme pour les hommes du peuple, la cellule du « pauvre Séraphim » était semblable à l’antichambre du ciel. Une conversation avec lui, ou une simple bénédiction, devenait un véritable entretien avec Dieu, qui pouvait changer radicalement l’orientation de leur vie. Grâce à son don de clairvoyance, il perçait les secrets des cœurs et les révélait aux pénitents qui n’osaient pas les avouer, il répondait à des lettres sans avoir besoin de les ouvrir, et savait donner à chacun le conseil, la consolation, l’encouragement ou la réprimande qui convenait. Complètement abandonné à la volonté de Dieu, il leur disait, sans examen, la première parole que Dieu lui révélait, et tombait toujours juste. Sa charité — c’est-à-dire l’amour de Dieu en lui — consolait tous, pardonnait tout, recouvrait tous.
Il accomplissait un grand nombre de guérisons miraculeuses, en oignant les malades avec l’huile de la veilleuse qui brûlait dans sa cellule ou en leur faisant boire de l’eau de la source, appelée par la suite « la source du Père Séraphim », située à peu de distance du monastère, dans son « désert proche », où il aimait passer ses après-midi. On lui adressait tant de demandes de prières, pour les vivants et pour les défunts, qu’il lui était impossible de commémorer tous les noms ; aussi allumait-il pour chacun un cierge dans sa cellule surchauffée et constamment illuminée de centaines de flammes, comme autant d’âmes vivantes. Dieu lui accorda aussi le charisme de la prophétie, et il prédit des événements à venir, tant pour des individus que pour tout le pays, comme la guerre de Crimée, la famine et la terrible épreuve qui devait ravager l’Église et le peuple russes un siècle plus tard ; mais il cachait ses prophéties derrière des paroles énigmatiques, qu’on ne comprenait qu’après la réalisation des événements.
Un soir de novembre 1831, le riche propriétaire Nicolas Motovilov, qui avait été récemment guéri par l’homme de Dieu et était devenu son ardent disciple, lui demanda : « Quelle est le but de la vie chrétienne ? » Le père Séraphim lui répondit : « C’est l’acquisition du Saint-Esprit, que l’on obtient par les œuvres saintes recommandées par l’Église, et surtout par la prière. » Comme son interlocuteur le pressait de questions pour savoir plus précisément qu’est-ce que la grâce du Saint-Esprit, le starets le prit soudain dans ses bras, le regarda fixement — son visage était devenu plus brillant que le soleil en plein midi —, et il lui dit avec autorité : « Regardez-moi, Ami de Dieu, ne craignez pas. J’ai demandé au Seigneur de tout mon cœur de vous rendre digne de voir de vos yeux corporels la descente du Saint-Esprit. Et voilà ! Vous êtes devenu, comme moi, tout lumineux. Vous avez été aussi rempli de la grâce du Saint-Esprit, sinon il vous serait impossible de me voir ainsi dans cette lumière. Que ressentez-vous ? » Motovilov répondit : « Un calme, une paix indicible. Mon cœur est rempli d’une joie inexprimable. — « Et encore ? » — « Une chaleur et un parfum, tels que je n’en ai jamais ressentis. » — « Ce parfum est la bonne odeur du Saint-Esprit, répondit le saint, et cette chaleur n’est pas extérieure, puisque nous sommes en plein hiver et que toute la forêt autour de nous est couverte de neige, mais elle est en nous, conformément à la parole du Seigneur qui a dit : Le Royaume de Dieu est au-dedans de vous (Lc 17, 21). » Cet entretien dura encore longtemps et, à la fin, saint Séraphim demanda à son disciple de le rédiger par écrit et de le transmettre au monde entier. Le manuscrit de Motovilov ne fut retrouvé que bien plus tard, en 1903, à la veille de la canonisation du saint, et il a connu depuis une diffusion considérable . C’est le message ultime de lumière et d’espérance que le prophète de Sarov laissait à la Russie et à l’Église tout entière. Dans ses instructions, il disait aussi souvent : « Ma Joie, acquiers l’esprit de paix, et alors des âmes par milliers seront sauvées autour de toi. » Cette paix intérieure, qu’il avait acquise au prix de tant de labeurs, se répandait autour de lui comme joie et lumière ; c’est pourquoi saint Séraphim ne laissa pas à la postérité un enseignement très développé, mais plutôt un modèle de vie.
Alors qu’il n’était encore que diacre, la fondatrice du couvent de Divéyevo, situé à quelques kilomètres de Sarov, avait confié au père Séraphim la direction spirituelle de sa communauté naissante. Pendant toute sa vie, il montra une attention paternelle pour ses filles spirituelles. La communauté grandit rapidement, malgré les difficultés économiques. Saint Séraphim l’organisa selon un mode strictement cénobitique, avec la sentence : « En tout temps, ayez les mains au travail et les lèvres à la prière. » Sur l’ordre de la Mère de Dieu, il fonda un second couvent, dit du « Moulin », avec ses filles les plus chères, auxquelles il donna une règle de vie centrée sur la Prière de Jésus. Malheureusement, après la mort du starets, Satan suscita un moine envieux et intrigant, qui s’efforça par tous les moyens de ruiner la réputation et l’œuvre du saint. Il fit fermer le Moulin et occasionna de nombreuses tribulations aux religieuses.
Un jour, quelque temps avant la fin de son séjour terrestre, Séraphim fit venir une moniale de Divéyevo et lui annonça, en la couvrant de son manteau : « Nous allons avoir la visite de la Mère de Dieu. » Le moment venu, il la releva et un bruit semblable à celui d’un vent violent dans la forêt se fit entendre, suivi par des hymnes de l’église ; la porte s’ouvrit d’elle-même, et la cellule fut soudain inondée de lumière et d’un parfum très suave. Le saint tomba à genoux, et la Mère de Dieu apparut, précédée de deux anges, de saint Jean-Baptiste et de saint Jean le Théologien, et suivie de douze saintes vierges martyres. La moniale tomba à terre, croyant perdre la vie, alors que le père Séraphim se tenait debout et s’entretenait tendrement avec la Reine du Ciel, comme un ami. La Toute-Sainte lui promit de toujours prendre soin des sœurs de Divéyevo, et en disparaissant elle lui dit : « Mon bien-aimé, bientôt tu seras avec nous ! » Quand ils se retrouvèrent seuls, le starets confessa à la moniale que c’était la douzième apparition divine que le Seigneur lui accordait.
Parvenu à l’âge de soixante-dix ans, souffrant cruellement des suites de ses blessures, mais sans rien relâcher de son activité, saint Séraphim parlait de plus en plus souvent de sa mort prochaine, avec joie et le visage rayonnant. Le 1er janvier 1833, après avoir communié, il vénéra toutes les icônes de l’église, en allumant devant chacune un cierge, et bénit tous les frères en disant : « Faites votre salut ! Veillez ! Des couronnes vous sont préparées ! » Puis, après avoir visité son tombeau, il s’enferma dans sa cellule et rendit son âme à Dieu la nuit même, à genoux, en chantant les hymnes de Pâques. Tout le peuple des environs se rassembla pour ses funérailles.
Par la suite, l’homme de Dieu continua de visiter et de secourir ses enfants spirituels par de nombreuses apparitions et guérisons, et la dévotion du peuple ne cessa de grandir, malgré les oppositions. Finalement, la canonisation de saint Séraphim, le 19 juillet 1903, en présence de la famille impériale, de nombreux évêques et d’une foule de plusieurs centaines de milliers de personnes, venues de toutes les régions de la Russie, marqua son triomphe. Ce fut une dernière manifestation de l’unité du peuple russe et de la gloire de l’Église avant la grande épreuve. Ses précieuses reliques, portées en procession au-dessus de la foule, accomplirent alors de nombreux miracles. En 1926, les bolcheviques les confisquèrent et l’on perdit leurs traces. De manière providentielle, ces précieuses reliques furent retrouvées, en 1991, dans les réserves du Musée de l’Athéisme de Saint-Pétersbourg. Ayant été dûment authentifiées, elles furent solennellement transférées au monastère de Divéyevo, au terme d’une procession triomphale et émouvante à travers les grandes villes de Russie. Cet événement inaugura en quelque sorte la renaissance de la vie religieuse en Russie.
(Tiré du Synaxaire du hiéromoine Macaire de Simonos Petras)